Berlin
Petit déjeuner à Berlin. Rosalie est arrivée pendant la nuit, elle va faire le voyage avec moi. Pendant le petit déjeuner, il y a une grande discussion sur le voile, les droits des femmes dans le monde arabe, etc. Je trouve ça étonnant la façon dont le monde occidental n’a pas compris de quoi il s’agissait vraiment, et quelle était la vraie problématique. Nos sociétés se permettent de juger des choses qu’elles ne comprennent pas, sous prétexte d’une démocratie, avec une sensation de supériorité. Malheureusement, c’est aussi le cas dans la cuisine de ma mère. Un début flamboyant.
Sms post-départ :
« Mon trésor, autant le conflit de ce matin était désagréable, autant il a de la valeur. Tu vas probablement avoir à faire à des opinions similaires dans ce projet, ça te demandera beaucoup au niveau émotionnel (…). Tu ressens le conflit du monde, je retrouve la qualité de notre temps en toi, rien que ca. Prends-le comme un défi sportif si c’est possible. (Émoji ski, trophée, vélo, planche de surf) »
Nous sommes en chemin pour Cottbus. Rosalie conduit. Je m’occupe du GPS.
Radio : « Je me lève, rien ne me tient à la terre, tout le reste s’estompe dans le gris,
Ca fais trop longtemps que je ne me suis pas envolé, comme un cosmonaute »
(Extraitde « Comme un cosmonaute », Sido)
Cottbus
A l’arrivée j’acheté un Eclair (chocolat croquant sur pain avec du flan entre les deux pains) et un « sprizkuchen » pour faire découvrir la culture allemande à Rosalie. Elle refuse en me remerciant.
Sur les boîtes aux lettres à côté de la boulangerie sont collés des autocollants à plusieurs reprises :
« Inspection des policiers de Cottbus
Je ne laisse pas d’étrangers dans mon appartement !
Je ferme toujours ma porte à clé !
J’utilise tous les cadenas à disposition pour fermer mon appartement de l’intérieur !
J’utilise le judas de ma porte ou je regarde par la fenêtre avant d’ouvrir la porte !
Je contrôle les passeports avec soin !
Je ne laisse jamais des étrangers dans mon appartement !
Ne pas signer de contrats sur le palier de ma porte !
Je m’entretiens avec une personne de confiance !
Le cercle Weiser Téléphone des victimes 116 006 »
Rosalie trouve sur son smartphone une adresse de logement pour refugiés, ils seront le fil rouge du voyage.
Arrivés à l’adresse, l’ordre Malteser International est sur place. Nous nous présentons et rencontrons quelques réfugiés. L’un d’entre eux nous invite chez lui.
Le traducteur de Nato
« My Brother was a pilot, they shot his plane, I was a translator for the Nato, we had to go, they said that the enemy was speaking through me and that I was speaking to the enemy.
We walked 17 hours without a break in a Russian Forest with my wife, who was 8 months pregnant, my two children who are 6 and 5 years old, and my Father who is 80. He can’t even speak or hear. »(Mon frère était pilote, ils ont descendu son avion, j’étais traducteur pour le Nato, on devait partir. Ils disaient que l’ennemi parlait à travers moi et que je parlais à l’ennemi. Nous avons marché pendant 17 heures sans pause dans une forêt Russe avec ma femme enceinte de 8 mois, mes deux enfants de six et cinq anset mon père qui a 80 ans. Il ne peut même plus entendre ou parler.)
Les amis du traducteur de Nato
Petite fille : « On était en Turquie, et après en Grèce, on a fait un grand voyage ! »
Le père me montre des photos.
Moi : « Do you have a picture of your „home“ , like your house back in Afghanistan? »
(« Est-ce que vous avez des images de votre maison ? »)
Le père : « No I lost my phone in the sea ! »
(« Non, j’ai perdu mon portable dans la mer ! »)
La fille veux nous offrir une peluche, nous nous pensons discrets et intelligents en le laissant sur la table en quittant l’appartement. Elle nous suit dans le prochain appartement, nous refusons poliment la peluche mais la fillette se met à pleurer très fort. Son frère dit :
« Viens, on s’en va, ils n’en ont rien à foutre ! »
Soirée avec Alex
Alex est notre premier hôte. Il nous amène dans un bar « underground » dans Cottbus. Sur le plafond est écrit « La danse est une expression verticale d’un amusement horizontal »
Les gens boivent des bières et jouent au ping-pong en groupe, c’est un peu la même chose que « le voyage à Jérusalem ». On a prévu d’aller à la « pfeffi party » ce soir. On ne pourra pas y aller avant 1h car Alex a promis à sa, désormais ex, copine qu’il resterait avec elle pendant la première partie de la soirée.
Pfeffi Party :
A l’entrée, on nous donne des coupons. 2 euro = 4 coupons pour des shots « pfeffi » (Get 27)
Je ne peux pas me retenir de penser :
« Tout mes amis vont boire un pfeffi. Pfeffis pour Nina, Maria, Alex et Steffi. Pfeffis dans la boîte »
Personne n’aime ces Pfeffis, ils ont un gout de dentifrice. Je suis sûr que c’est plus fort en alcool que ce que l’on estime. Au moins, tout le monde a une superbe haleine.
Stefan : « Il devait y avoir des réfugiés ce soir, en tous de cas ils étaient invités. »
Martin : « Ils ont peut-être pas trouvé la boîte. »
Stefan : « Mec ! Il y a un énorme laser pointé vers le ciel dehors, comment veux-tu qu’ils ne trouvent pas ? »
Le DJ joue « wiggle it » de Snoop Dog et continue avec la dernière nouveauté berlinoise. Romano : « Tout mes amis se prennent des claques sur les fesses, claques sur les fesses, claques sur les fesses. »
Par la suite, il joue : « T’est une salope, sale pute, j’espère que tu vas mal »
Apparemment cette chanson est très connu, alors toute la boîte se met à chanter/crier ces paroles qui se répète sans cesse sur une instrumentale house. « Salope, Sale pute, j’espère que tu vas mal. »
Quand on rentre, il n’est ni tard, ni tôt.
Petit Déjeuner au resto U de Cottbus. Gaufres avec fruits rouges, charcuterie sur pain noir, flan au chocolat et nectar d’argousier.
Can you hold me ?
On continue à Drebkau. Sur l’autoroute, Rosalie reçoit un WhatsApp de son ancien tinder date / maintenant pote, un scientifique iranien. Le message WhatsApp est un graphique de l’Allemagne. Il est écrit en anglais dessus : Come for the Wellfaire / Stay for the rape (ils sont venu pour l’aide social et sont restés pour violer).
Nous sommes 14 jours après la nuit de nouvel an de Cologne.
Nous faisons une pause à Dresde, attirés par une soupe de pommes de terre avec saucisses. Rosalie veut rentrer dans un resto/bar peint en rouge, jaune noir avec des signes germaniques dessus. Je lui déconseille. On choisit de manger coréen.
Sur mon Facebook feed, je vois une image d’une de mes artistes berlinoises préférées, Inna Blasius. C’est un tableau en pâte à modeler, on y voit des visages en noir et blanc. Le titre : Clubing Divas, ou Refugiés au Berghain. 28 Likes 4 commentaires.
Une connaissance de Londres, qui envisage d’aménager à Hambourg bientôt, m’écrit en message privé sur Facebook :
“I am still in London. Plan to go back to Hamburg in February school half term. If you’re still in the country, we should meet. I went over for Christmas and I have this one image in my mind, I seriously imagined would be in the national press but it wasn't- and that was hundreds of men only men standing outside the Apple Store on a late Sunday evening- in an area which is in the center of Hamburg but dead by way of tourist on a Sunday. We later found out that they were all refugee men using the free wifi. “(« Je suis toujours à Londres. Je compte d’aller à Hambourg pour la mi-février pour les vacances d’hiver, si tu es toujours en Allemagne, on devrait se voir ! J’y étais pour Noel et j’ai gardé une image en tête, je pensais vraiment qu’elle allait finir dans la presse national, mais elle n'y était pas. Il y avait plusieurs centaines d’hommes debout devant le Apple store un dimanche tard au soir, en plein milieu de Hambourg, qui était vidée des touristes à ce moment vu, que c'était le dimanche soir. Plus tard on a appris qu’ils étaient tous des refugiés qui utilisais le wifi gratuite de la boutique Apple.»)
On sort pour acheter des bonbons Haribo et un Spezi (un mélange de Coca et Fanta orange) au Aldi. On voit un groupe d’hommes étrangers.
Je demande à la caissière : « Vous savez où est le camp de réfugiés ? »
Caissier : « J’en sais rien, demandez-leur à eux, ils sauront ! »
On rencontre ces amateurs du selfie qui viennent d’arriver d’Afghanistan. Ils nous amènent vers le camp de réfugiés le plus grand de Dresde. Ils rient beaucoup de mes jambes trop fines et me montrent leurs muscles, ce sont des hommes très sportifs.
M mesure deux mètres et fait au moins trois fois ma largeur. Il est habillé entièrement en noir, cheveux noirs et barbe d’une semaine, noirs aussi. Il me parle dans un anglais pataud.
M : « Do you have an apartment ? » (Tu as un appartement ?)
Moi : « Yes, it’s small but ok so far » (Oui, il est petit mais me vas bien)
M : « Where is your flat ? » (Où est ton appartement ?)
Moi : « Paris »
M : « Can you hold me ? I need to stay ! » (Peux-tu me tenir ? J’ai besoin de rester)
Rosalie est entourée par cinq garçons, pendant que M parle avec moi avec un de ses potes à côté.
Le camp est entouré d’une grille. La grille est couverte d’une bâche bleue. A l’entrée se trouvent plusieurs policiers armés. On traverse l’entrée et on nous refuse l’entrée, seuls les habitants ont le droit de rentrer, et surtout pas les photographes ou journalistes. Nous sommes plutôt contents, nous nous sentons plus en sécurité.
Anna
Il a commencé à neiger. Nous arrivons à Chemnitz. Nous n’avons plus la force d’avancer jusqu’à Leipzig, les réseaux sociaux sont remplis de messages d’une attaque d’ungroupe de Néo Nazis. Apparemment, ils ont détruit une rue dans un quartier alternatif d’extrême gauche.
Extrait d’une conversation sur CS :
« Notre quartier est notre « Heimat », notre chez nous. Lundi, nous nous sommes faits agressés par un groupe de nazis radicaux. Beaucoup de magasins ont été démolis, maintenant on essaie d’être solidaires pour ces magasins. On fait des donations pour qu’ils puissent être réparés… Je me sens plus à l’aise dans notre « Heimat ». Elle est devenu la surface de projection d’idéologie en direct et en couleur. »
Nous trouvons cette nuit refuge dans le projet de maison d’Anna :
« Je ne sais pas si vous en avez déjà entendu parler, mais hier un groupe de Néo Nazis a attaqué une rue très alternative dans la ville d’à côté. Ils ont détruit toutes les vitres des magasins et ont brûlé un Kebab. Ils étaient nombreux.
Bien sûr l’ambiance n’est plus très bonne maintenant, on ne se sent plus en sécurité. Notre maison n’a jamais été attaquée mais c’est parce que notre projet est calme, dans le sens où on s’engage vers les réfugiés et d’autres causes sociales, on est à gauche, mais pas antifascistes. Mais d’autres maisons comme la nôtre, un peu plus extrêmes, se sont déjà fait attaquer. Ce soir, il y a un concert dans notre maison, vous devriez venir, il y a toujours beaucoup de réfugiés qui viennent aussi.
On les accueille la journée, on a un magasin gratuit où ils peuvent venir prendre les affaires dont ils ont besoin. On a dû limiter à trois pièces par jour car il a eu des abus. Il en a qui sont venus pour prendre un maximum de choses et les renvoyer chez eux pour les vendre là-bas.
Ils sont souvent si traumatisés qu’ils n’arrivent plus à prendre que le nécessaire et sont dans l’excès. C’est tellement horrible ce qu’ils ont vécu, et nous ici on Europe on vit dans nos appartements … »
Elle se met à pleurer.
On est sur la route, Rosalie conduit, on écoute la radio, cette chanson passe en boucle en ce moment. Plus que je l’entends, plus elle me touche :
Ich grabe im geroell mit beiden haenden
(Je creuse dans les pierres avec mes deux mains)
Meine finger taub, die augen brennen
(Mes doigts insensibles, mes yeux brûlent)
Baue mir berge aus schmerz und fragen
(Je monte une montagne de douleur et de questions)
Sollen sie mich unter sich begraben
(Pour que je sois enterré en dessous)
Haue Loecher in die Angast aus meinem gewissen
(Je frappe des trous dans la peur de ma conscience)
Erste brocken sind aus kindheit und vermissen
(Les premières pièces sont de l’enfance et du manque)
Und dann sitze ich auf m bett und esse steine
(Je suis assis et mange des pierres)
Deine meine grose kleine
(Les tiennes, les miens, des grandes et des petites)
Bis ich fertig bin damit lass mich alleine
(Jusqu’à ce que je finisse laissez-moi tout seul)
Ich denk nur so geht es vorbei.
(Je pense que de cette façon ça passera)
Le Boucher
On se trouve dans une rue entièrement vidée, tous les immeubles sont fermés par des grandes planches de bois. Une artiste a pris ces immeubles comme occasion de peindre sur les fenêtres.
On rentre dans une boucherie pour déjeuner. On mange des pommes de terre avec une sauce et deux bouts de viande avec un fromage au milieu, le tout est pané.
Elle : « Oui ça fait quelques générations qu’on tient cette boucherie, ça va de père en fille. Attendez, je vais aller chercher Mama pour la photo. »
La Mama : « Ah mais alors on va attendre mon mari, il faut qu’il soit sur la photo, autrement on ne serait pas au complet. Vous voulez un café en attendant ? »
Elle : « Oui papa est en train de faire le tour, il livre, mais il va revenir dans cinq minutes normalement. »
Papa : « Ah un photographe, vous voulez photographier ? »
Je présente Rosalie qui m’accompagne sur le voyage.
Papa (changement d’expression de visage) : « Mais qu’es ce que tu fous avec des étranger mon garçon ? »
Moi : « Ah, je fais mes études en France, et puis c’est une bonne amie ! »
Papa : « De toute façon, ils ont de la bonne nourriture en France, surtout en Alsace. Il y a beaucoup de jeunes un peu chaotiques dans notre ville maintenant (antifa, extrême gauche). En soi, je n’aime pas comment ils s’habillent et puis tout ces étrangers qui arrive maintenant, où ça va nous mener tout ça ? C’est vrai que les jeunes mettent les choses en mouvement, et ça c’est bien, enfin on verra si c’est bien. Mais avec tout ce monde qui arrive, il faut bien que quelqu’un fasse quelque chose, nous on est trop vieux pour comprendre tout ça. »
Le cinéaste sensible aux rayons électriques
Description de profil CS :
« Roommate Situation
I live with my daughter in this beautiful and comfy flat. My daughter is 16 and like a lion. Hungry. »
(J’habite avec ma fille dans ce bel appartement très confortable. Ma fille a 16 ans et elle est comme un lion. Elle as faim.”)
Christian est assis à la table et est entrain de préparer une pizza Bio. David, son fils, est assis sur l’appui de la fenêtre.
Christian : « Tu as toujours pas trouvé ton coiffeur ? Il faut que tu aille enfin faire couper tes cheveux ! Sinon tu ne le feras jamais. »
David: « Oui mais c’est tellement cher ! »
C : « Mais je t’ai donné de l’argent exprès! »
D : « Oui mais je préfère épargner cet argent »
C : « Ah ben voilà un garçon raisonnable! Mais bon, tu veux devenir un hippie sale avec des cheveux longs et qui ne se lave jamais les dents? Déjà que tu ne fais jamais la vaisselle… »
D : « C’est vrai mais ça devrais pas être à moi de le faire ! »
C : « Et pourquoi pas? Comment veux-tu trouver une femme si tu fais jamais le ménage ? Alors David, dis-moi, tu veux avoir les cheveux trop longs car tu es trop radin pour le coiffeur et tu veux rester à la maison et pas faire le ménage? Tu veux faire quoi à la place? Jouer à Counter Strike? »
D : « Oui pourquoi pas, ou gagner beaucoup d’argent ! »
C : « Oui mais tu n’as même pas le bac! »
D : « Oui mais moi je n’ai pas envie de faire ça! Je préfère faire un truc raisonnable! »
Rosalie a trouvé de nouvelles adresses de réfugiés à Leipzig. On rentre et on frappe à la première porte à droite. Toc toc. Une gamine de six ans sort sa tête:
« Salut! Tu veux quoi ? »
Moi : « Salut, je viens faire un projet sur les personnes qui viennent d’arriver et qui commencent ici une nouvelle vie, j’aimerais faire une photo de ta famille ! »
Elle : « OK, attend ! »
Elle ferme la porte. Le papa ouvre la porte, elle traduit en arabe ce que je viens de lui dire, il nous fait signe de rentrer dans l’appartement.
On est assis sur des matelas proches du sol, on boit du café très fort, noir. Rosalie est amenée chez les femmes dès le départ. Je reste avec les homes.
L’homme qui ne voulait pas de photo
Lui : Er Nta malebi ? nta muslim ? Are you married ? Do you have kids ?
(Vous êtes marocain ? Vous êtes musulman ? Vous avez des enfants ?)
Moi: no not yet
(Pas encore)
Lui: M’skine, soon insha allah !
(Le pauvre, bientôt si dieu le permet)
Moi: Inscha allah !
(Si dieux le permet)
Lui : I don’t want photos, I don’t want newspapers !
(Je ne veux pas de photos, je ne veux pas les journaux !)
Il me montre d’un article d’un journal avec le titre : Refugiés, départ pour une vie plus heureuse. On y voit une famille de réfugiés, heureux, en train de rire.
Lui : Upstairs there is a man, he likes music, he always sings, makes so much noise. He will like photos !
(En haut il y a un homme, il aime la musique, il chante tout le temps, fais beaucoup de bruit ! il va aimer de se faire prendre en photo !)
Un cousin rentre, commence à faire des blagues sur le fait qu’il ne veuille pas être pris en photo. Il ne plus tenir la pression du groupe et dit tout un coup, « Vas-y, vas-y, fais ta photo, fais-en dix ! Yallah yallah » !
Quelques escaliers et explications plus tard.
Le musicien syrien qui a déjà joué à la radio allemande
La mère : Nta Tunis ?
(Tu viens de Tunisie ?)
Moi : la anna malghibi, anna would rbat
(Non, je suis marocain, je viens de Rabat)
Fils : Tu es musulman ?
Moi : Oui un peux, a shado allah il aila
(Je jure qu’il y a un dieu)
Fils avec geste sur ma barbe : Mais nous ne sommes pas comme ça
Moi : Comment ça ?
Fils : Comme ISIS, avec les barbes, nous des musulmans, ça veut dire que nous avons sept voisins, dans chaque direction de ciel, et nous sommes obligés de vivre en paix avec nos voisins et de nous entraider. Avant quand on était en Syrie, on ne pouvait pas sortir. Comme il y avait des cadavres autour de la maison, on était souvent à la maison.
Moi : tu sais déjà ce que tu veux venir plus tard ?
Fils : Oui, je veux devenir policier, je veux faire en sorte que tous les criminels soient emprisonnés, faire en sorte que justice et ordre trônent.
Petit sœur : Moi je veux devenir une princesse, avec un cheval.
Jarret de Porc
Quelque part à la campagne, Leipzig-Schönau, dans un grand centre commercial, nous mangeons des jarrets de porc et des saucisses grillées avec une salade aux pommes de terre. Quand je me lève, une vieille dame me fais signe de venir avec un grand sourire. Elle dit : « Mangez plus de jarret de porc ! Et du chocolat ! Vous avez des cure-dents à la place des jambes ! Vous êtes beaucoup trop mince ! »
Elle s’amuse beaucoup en disant ça.
Un vieux monsieur à côté d’elle dit : « Ah oui la Gundel a toujours aimé les jeunes messieurs grands et minces, et apparemment ça ne s’arrête pas non plus avec la vieillesse ! »
Je les remercie pour leurs compliments et vais faire du shopping.
Le journal « Bild » a comme titre ce jour« Jenny n’a pas le courage de faire l’épreuve du pénis, « berk je ne mange pas ça ! » »
Retour a Dresden
A la radio :
“I only fuck you when it's half past five
(Je te baise uniquement quand il est 5:30 du math)
The only time I'd ever call you mine
(C’est le unique moment où je t’appelle mienne)
I only love it when you touch me, not feel me
(J’aime bien seulement quand tu me touches, pas quand tu y mets des sentiments)
When I'm fucked up, that's the real me
(Quand je suis défoncé c’est le vrai moi)
When I'm fucked up, that's the real me, babe”
(Quand je suis défoncé c’est le vrai moi bébé)
- The Weeknd – The hill
„Ich wünsch dir noch n geiles leben
(Je te souhaite encore une putain de vie)
Mit knallenden champagner feten
(Avec des fêtes de champagne)
Mit Fame, viel geld, dicken villen und sonnen brillen
(Avec beaucoup de réussite, pleins de thunes, grosse villa et lunettes de soleil)
Ich seh doch ganz genau das du eigentlich was anderes willst“
(Je vois très bien que tu veux quelque chose d’autre en vrai !)
- Glasperlenspiel (Jeux des perles de verre)
“Hör auf die Stimme, hör was sie sagt, sie war immer da, komm, hör auf ihren Rat
(Ecoute la voix, écoute ce qu’elle te dit, elle était toujours là, viens écoute son conseil)
Hör auf die Stimme, sie macht dich stark, sie will dass du's schaffst”
(Ecoute la voix, elle te rend fort, elle veut que tu réussisses !)
- Eff
Hartmut
On marche dans une forêt enneigée, quelque part il y a un chevreau qui vient probablement de perdre sa mère. Il la cherche avec des grands cris. C’est la saison de chasse. La neige est fraîche, le soleil brille. On voit une branche à travers les arbres qui en sont dépourvus. Elle pointe droit jusqu’au ciel, elle a une forme de la croix. Je ne peux pas m’empêcher de penser à des êtres élémentaires et la mystique germanique.
Hartmut : On n’a pas fait d’enfants. Pas tout le monde ne doit avoir d’enfants… Mais par contre quand tu fais un projet comme celui-ci, tu sais après si tu t’aimes vraiment ou pas.
Hartmut est un vieux prénom allemand. Il fait partie de ces prénoms qui ont une signification guerrière, come Siegfried, Erhard etc. Tous ces prénoms viennent de la mythologie germanique.
Moi : Hartmut est un prénom bien particulier, comment ça se fait que tu le portes ?
Hartmut avec un sourire moqueur sur les lèvres : Mon père aurait aimé que je sois un vrai dur. Visiblement ça n’a pas très bien marché …
Moi : « Pour quoi ? Qui était ton père ? »
Hartmut : « Mon père était un juge très connu sous Hitler. Il a envoyé quelques combattants de la résistance importants à la mort. J’ai totalement coupé les ponts avec lui, ce n’était pas un caractère facile. »
Moi : « Ah ça ne dois pas être évident, du peu que je sais sur mon arrière-grand-père, ça me dégoûte de savoir que je suis du même sang que lui. C’est difficile d’assumer ce que nos grand et arrière-grands-parents ont fait. »
Hartmut : « De tout façon que peut-on faire. Il faut s’en libérer et il faut vivre sa vie en toute simplicité. Moi j’ai travaillé pendant 20 ans pour des refugiés en tant que travailleur social. Ce n’est certainement pas ce que mon père aurait aimé que je fasse. »
Le froid tout d’un coup me fatigue. Je me sens comme affaibli. Je risque de tomber malade.
Daniel
J’ai rencontré Daniel quand j’étudiais à Nantes. La dernière fois que je l’avais vu, c’était la nuit avant qu’il rentre en Allemagne. C’était après son master en France. Il allait commencer sa vie d’adulte, celle qui commence une fois les études terminées. Nous avions eu une grande discussion sur la vie. Je ne l’avais pas revu depuis.
Daniel : « Je suis rentré en Allemagne car je voulais participer ici, rendre quelque chose. Je veux bien travailler, être bon pour l’entreprise qui m’embauche, mais je veux vivre aussi… Tu vois, mes colocs ne sortent jamais. Genre pour eux une soirée sympa c’est d’aller à la gym et après faire un appel Skype en conférence et par la suite il se font une soirée tout seul dans leurs chambres avec Netflix et un milkshake. Ils n’ont pas de vie.
(Je suis sur mon iPhone. Je suis en train d’installer OKcupid pour répondre à des questions sur ma vie sexuelle pour trouver un match pour la nuit)
Daniel : « Vas-y arête ça ! Viens on discute, on s’en fout de tout ces histoires de Tinder ! »
Au petit déjeuner, les colocs sont rentrés, ils étaient en vacances « actives » d’un mois en Thaïlande.
Coloc 1 : « Putain, c’était stylé là-bas, vraiment bien ! Personne n’a besoin de neige ! »
Coloc2 : « Quoi que de faire un peu de snowboard le weekend prochain serais stylé aussi ! »
Les deux lisent leurs factures et s’en vont pour se coucher. Daniel mange son muesli : « Ce soir j’ai mon cours de danse, il faut vraiment que j’aille. Ce serait une trahison envers moi même si je ne dansais pas ou ne jouais pas de la guitare ce soir. Si je ne fais pas, ça je ne ferais plus que travailler, c’est comme mourir. »
Je regarde par la fenêtre, dehors il fait moins 15 degrés. La neige est devenu glace à force de marcher dessus. Le vent rend tout ça encore plus froid.
Bientôt c’est le retour à Paris où il fait un peu plus doux.
Ulm
Deuxième partie. Je suis en chemin pour Baienfurt où Rodrigo et Hannah m’attendent.
Dans la région où habitent Hannah et Rodrigo, il y a un carnaval traditionnel, chaque année depuis une centaine d’années. Les habitants des villages sont dans des groupes costumés et portent des masques en bois. Pendant ce moment du carnaval, un groupe de réfugiés devaient arriver. Je m’intéresse à l’opposition et à la rencontre des deux.
A la premier soirée on boit chacun six grandes bières, on photographie tout, un peu sans savoir de quoi il s’agit vraiment. Le centre des festivités est le bar qui s’appelle « L’Arbre vert ». Ici, jeune et vieux boivent ensemble bière, vin blanc propre à la région, et chantent des chants populaires.
Chanson :
„fliege mit mir in die Heimat, Fliege mit mir übers Meet, übers Meer,
(Vole avec moi à la maison, vole avec moi au-dessus de la la mer,
fliege mit mir in den Himmel hinein, mein Mädel, mein Mädel steig ein.“
(Vole avec moi au ciel, viens ma fille, ma fille viens avec moi »
Le Camp
Responsable du camp, en pointant un homme du doigt : « Quand vous rentrez, ne parlez pas trop à cet homme. Son frère vient d’être décapité, son autre frère pendu la semaine d’avant. »
A côté de nous marche un homme avec une grande cicatrice sur son bras. Un point rouge qui a l’air d’avoir traversé le bras. Nous ne pouvons pas nous empêcher de penser à une blessure par balle, même si ça peut être quelque chose de totalement différent.
(…) « Au début on pensait pas au fait que le Fasie et l’Arabe ne sont pas du tout la même langue, vu que visuellement c’est très proche. C’est que une fois qu’on a reçu des syriens et des afghans qu’on s’est rendu compte qu’ils ne pouvaient pas du tout communiquer. Heureusement on a deux Afghans, comme ça au moins ils peuvent parler entre eux. Autrement ils seraient bien seuls ici. »
(…) « Vous avez vu le visage du garçon là-bas ? Les cicatrices viennent d’une explosion de bombe. Il a 12 ans. Il est venu tout seul. »
Quand je demande à un homme pourquoi il est parti, il fait des bruits bizarres et imite une mitrailleuse. Il tire dans une direction, dit : « Assad ». Maintenant il mime des bombes, il tire dans l’autre direction et dit « ISIS ». Sur le mur, il y a des listes de vocabulaire allemand et des devoirs. On boit un chocolat chaud ensemble.
Plusieurs garçons viennent très rapidement sur des vélos vers le camp. Ils rient beaucoup, font des gestes de fierté.
Mère de Hannah : « Je suis infermière, c’est quand même compliqué avec la communication, d’un la langue et de deux la culture. Notre village avait fait une collecte de donations pour acheter des vélos au refugiés. Ils habitent loin du village, c’est difficile pour eux de s’intégrer. Le jour après que nous les ayons donnés, il y avait quarante personnes à l’hôpital. Personne n’a pensé au fait que peut-être ils ne faisaient pas de vélo en Syrie. Pour nous c’est normal, c’est une question de culture. Maintenant, Gabi donne des cours de vélo après les leçons d’allemand …
Centre balnéaire
Parade à travers Baienfurt. On observe la parade à travers d’une fenêtre de l’arbre vert, Hannah regarde la parade de la fenêtre. Elle a loué un costume de coccinelle.
« Quand on était petites les « schreckerles » (nom des masques du village) nous capturaient souvent. Ils te capturent et te mettent dans un chariot puant. Il faut se libérer de ce chariot, autrement tu dois peut-être marcher un ou deux kilomètres pour retrouver ta famille. Parfois, ils te jettent aussi dans un chariot rempli de sciure de bois, ça te ruine ton costume, c’est vraiment méchant. Ils font ça de préférence aux filles jeunes avec yeux bleus et cheveux blonds. »
On mange une spécialité locale, « spezle », une pâte avec du fromage chaud, et on boit de la bière.
Au centre balnéaire, l’eau est chaude à l’extérieur. Le vent froid fait bouger la bué, on sort de l’espace sauna pour aller flâner dans l’eau avec de la musique. On joue des mantras indiens sous de l’eau. Les corps sans mouvement sont allongés sur des objets gonflables qui tiennent les corps.
Trois refugiés sont aussi dans l’eau, accompagnés d’une vielle dame. On se demande pourquoi les centres balnéaires sont principalement destinés aux vieux en Allemagne.
Baienfurt
Petit déjeuner avec la mamie de Rodrigo. Erika a acheté des bretzel et pfannkuchen. Rodrigo est assis sur le canapé, triste. Il soupire et dit : « Ok je vais aller me séparer, je reviens dans une heure. »
On lui souhaite beaucoup de courage. Le thème des fins de relations est dans l’air. Erika était mariée pendant soixante ans, jusqu’à ce que son mari meure d’une crise cardiaque dans cette cuisine.
Moi : « Erika, comment tu as fait pour rester pendant soixante ans avec le même homme ? Je n’arrive même pas à être avec une fille pendant deux mois ! »
Erika croise les bras et reflechis, elle se tourne vers moi et dit : « Eh bien tu sais, si j’étais jeune aujourd’hui et si j’avais toutes les possibilités que vous avez, peut-être que j’aurai agi différemment aussi… »
On continue à discuter. Elle me raconte sa rencontre avec son mari. Comment elle vit depuis qu’il est parti.
Une autre parade. Les groupes masqué (zunft) marchent et hurlent leur cri. Si le publique répond bien, il est récompensé avec des bonbons et bretzels, sinon ils se fâchent et ils frappent le publique avec des estomacs de cochon séchés et gonflés comme des ballons.
Un Schrekerle vois un garçon, il le fait tomber sur le sol, ils commencent à se battre, un autre schrekerle s’allonge sur les deux, et un troisième se met sur eux, le tas d’humains se remet en marche et dit au revoir au garçon avec des forts cries et beaucoup de bonbons vu qu’il s’était bien battu.
Feux et Sorcier :
Père de Hanna en dialecte local :
« Levez les verres
Mettez le net dedans
A partir demain il va falloir boire de l’eau ».
Le Carnaval touche à sa fin. Les Schreckerle ont brulé leurs balais. On est assis autour d’une table à L’Arbre Vert et on boit de la bière.
Le garçon qui joue le tambour dans la fanfare du père de Hannah commence à jouer un rythme. La tuba s’ajoute, puis la guitare.
“Ich wollte dir nur mal eben sagen, dass du das Größte für mich bist
(Je voulais te dire, juste comme ça, vite faiy, que tu es la plus importante pour moi)
Und sichergehen, ob du denn dasselbe für mich fühlst, Für mich fühlst
(Et je voulais vérifier, si tu sens la même chose pour moi, la même chose)
Wenn man so will, Bist du meine Chill-Out Area
(Si on voulait le décrire comme ça tu es mon espace de détente.)
Meine Feiertage in jedem Jahr, Meine Süßwarenabteilung im Supermarkt
(Ma journée fériée de chaque jour, mon étagère de sucrerie au supermarché)
On boit un grand coup de bière, ojemerine (oulala) c’est fini.
Paris
Je suis assis avec Rodrigo dans un resto à Paris. On mange de la salade. Rosalie as déménagé à Pékin il y a quelques semaines. Rodrigo revient d’un voyage à Londres. On discute de nos photos de Baienfurt.
Rodrigo : « Mes profs veuillent que j’y retourne. »
Moi : « Les miens aussi. »
Rodrigo : « Putain on a vraiment la vie dure… »